Message de l’ARAC pour le 19 mars 2007

Il y a 45 ans, le 18 mars 1962, les accords d’Evian, approuvés ensuite par 91 % des françaises et français lors du référendum du 8 avril 1962, mettaient fin à la guerre d’Algérie. Ces accords étaient le fruit de la lutte des forces de paix appuyant l’action du peuple algérien pour son indépendance.

Le cessez-le-feu proclamé officiellement simultanément sur le terrain le 19 mars 1962, à midi, par les Etats-majors de l’armée française et l’année de libération nationale algérienne, mettait fin à huit années de combats.

Après 37 ans d’action des associations du Mouvement Combattant, de certaines organisations syndicales, politiques et associatives, la reconnaissance officielle de la guerre d’Algérie était enfin obtenue en 1999 par un vote unanime du Parlement. Mais en cette année 2007, après 45 ans, malgré la volonté clairement exprimée de l’immense majorité des Anciens Combattants en Afrique du Nord, la date historique du 19 mars 1962, mettant fin à cette guerre toujours pas reconnue officiellement. 10 ans de guerre (avec les combats du Maroc et de Tunisie) où trois millions de jeunes ont été mobilisés dont 30.000 sont tombés, 300.000 sont revenus blessés, malades, psychotraumatisés et plusieurs centaines de milliers de victimes militaires et civiles ont endeuillé le peuple algérien.

Le 19 mars 1962 appartient à la nation française et à son Histoire. C’est pourquoi l’ARAC, dans l’union avec le maximum d’organisations du Mouvement Combattant, entend poursuivre l’action pour sa reconnaissance officielle.

Dans le même esprit, l’ARAC continue de demander l’abrogation de la loi du 23 février 2005 qui, affirme la volonté officielle de faire disparaître la commémoration du 19 mars 1962 au bénéfice d’un 5 décembre sans attache historique avec la guerre d’Algérie. De plus cette loi tend à réhabiliter un colonialisme qui ne peut que favoriser les résurgences des nostalgiques, du fascisme, des criminels de la sinistre OAS qui relèvent la tête et glorifient par stèle les assassins justement châtiés par la justice républicaine.

En agissant ainsi, l’ARAC entend contribuer au développement de la solidarité et de la coopération entre les peuples de France et d’Algérie. Cette reconnaissance permettra une prise en considération des faits réels qui ont marqué ce conflit, levant ainsi nombre d’obstacles qui s’opposent à cette solidarité et à cette coopération.

Bernard Gerland: Plus qu'un témoignage une vie


Torture Guerre d’Algérie. Spectacle. Depuis cinq ans, Bernard Gerland, officier devenu acteur, joue Ma guerre d’Algérie.

Ce lieutenant qui met le meurtre en scène

" J’ai l’impression d’avoir été un petit voilier, seul sur la mer, qui en rencontre un autre ", explique celui qui, à cinquante-cinq ans, a entamé un travail de mémoire sur lui-même en même temps que l’apprentissage du métier de comédien.

Le meurtre commis pendant la guerre d’Algérie est devenu l’obsession de Bernard Gerland. Il en a fait un spectacle, qu’il joue depuis plusieurs années (1). Extraits du TEXTE : " L’action psychologique / Ce martelage incessant / et insidieux… / sur les bienfaits de la colonisation, / sur notre supériorité d’Européens / et de soldats, / sur l’ennemi à abattre, / sur la haine du fellouze et des populations complices. / "Tu sais, ça, ça marche… " Si tu es seul / et pas plus fort que les autres, / si tu ne fais plus que boire et crapahuter, / tu laisses aller, / tu perds le sens, / ça peut t’amener au pire / le pire… / comme tuer froidement. / "Une exécution. / Comme il y en eut beaucoup. / Même pas dans les règles de la guerre. / Lâchement / dans le dos. / Les mains attachées, les pieds… /…je ne m’en souviens plus. / On appelait ça des " corvées de bois ", / une institution aussi. / "Un prisonnier que mon groupe avait capturé / lors d’un accrochage. / Après qu’on eut tiré de lui / pendant plusieurs jours / le maximum de renseignements / sur ses camarades et les activités de son groupe. / C’était un grand résistant, / un chef / recherché depuis cinq ans dans tout le massif, / un symbole pour les deux camps / un courageux - bien plus que ça, / devenu / héros " / "J’avais été… presque volontaire… / pour prendre en charge le commandement de cette " corvée ". / Et au bout du compte… / elle a fini par m’incomber, à moi. / le moment venu, / j’ai tenu à ce que ce soit moi / et moi seul, / plutôt que mes harkis / ses frères. / C’était mieux comme ça / et puis… c’est moi qui commandais. "

Pour ce " fait de guerre ", le lieutenant Bernard Gerland recevra une médaille. Sur une scène dépouillée, le timbre est net, le regard profond. Tout, dans la stature, le maintien, la voix, le regard, est retenue, circonspection, simplicité, dénuement. Ce témoignage, le cour du travail entrepris par Bernard Gerland, ce cri, présenté en sourdine, qui lui a rongé les tripes une fois sorti de la " perte de sens " d’une guerre " jamais déclarée, jamais avouée, jamais nommée ", surgit après la beauté, l’amour, d’un pays, d’une lumière, d’un peuple. Bernard Gerland a commencé, à cinquante-cinq ans, ce travail " de mémoire " en même temps qu’un apprentissage du métier de comédien. Les deux ont été menés de front, sans qu’il ait pleinement conscience, à l’époque, que les deux actes participaient de la même démarche, que l’un serait un jour au service de l’autre. Il avait besoin que tout son être transcende le réel pour plonger au fond de sa conscience, pour comprendre comment lui, qui faisait circuler la Question, d’Henri Alleg, et manifestait contre la guerre en Algérie, avait pu se livrer à cet acte qui défiait sa conscience de militant, de croyant, de syndicaliste.

" Je ne me suis pas posé la question de savoir si ce que j’écrivais allait devenir public, dit-il. Ce n’était pas fait pour cela. Une fois achevée cette mise à nu, j’ai eu besoin de l’exposer, seul, face au public, mais pour cela, elle devait revêtir une forme artistique, poétique, au sens initial du mot poésie, une forme qui, à partir de choses précises, concrètes, simples, appelle à l’universel. Je n’aurais pas pu présenter ce travail s’il n’y avait pas eu la transformation d’une confidence brute en un travail net. La poésie permet de rendre l’inaudible et l’indicible audible et prononçable. " Poétique, oui, philosophique, aussi, mais sans jamais se prendre au jeu du discours, de l’analyse.

Depuis 1995, Bernard Gerland s’est mis ainsi cent soixante-dix fois à nu devant un public. " Et c’est là que mon travail est devenu utile. " Pour les jeunes. D’abord. " À travers l’histoire individuelle d’une personne, ils découvrent l’histoire de leur père, de leur oncle, de leur famille, ils comprennent les raisons d’un silence qu’ils ne s’expliquaient pas auparavant. Autant les Français que les Algériens. " " Enfin, on commence à y comprendre un peu quelque chose ", disent ces jeunes qui ont " moins les pieds dans la boue " que leurs parents, que la société tout entière. Ils veulent du concret, du direct. Et pourtant, dans les discussions qui suivent la représentation, ils abordent les problèmes de la responsabilité, de la conscience, de la lâcheté. " Je me souviens, raconte-t-il, d’une soirée à la campagne où les jeunes, à la fin, avaient demandé que tous se mettent en place : " Nous voudrions, disaient-ils, devant vous, nos parents, vous, les anciens, dire ce que tout cela, le spectacle, la discussion, nous a apporté par rapport à notre responsabilité d’adolescents dans nos écoles. " La meilleure conclusion de la soirée fut cette phrase d’un parent : " Fabriquons des enfants chieurs ! " Et il y eut ces mots de la fille de Steve Waring : " En philo, nous travaillons sur la praxis, sur le rapport entre la théorie et la pratique. Et c’est ça, c’est ce que vous exprimez. " Elle avait compris ses cours à travers le spectacle. Nous n’avions pas perdu notre soirée. Sous l’impulsion à la fois des lycéens et des professeurs, le TEXTE s’est, d’ailleurs, étoffé d’annotations moins intimes, plus historiques, " comme sur la torture, que je n’ai approchée qu’une fois quand nous avons capturé le prisonnier ".

L’utilité est manifeste aussi, chez les anciens d’Algérie. " Comme tu as de la chance, j’aimerais bien être capable d’en faire autant ", a confié un proche de l’auteur que celui-ci encourage à parler, à écrire, à " faire quelque chose ". Tant de gens sont venus, certains sont restés muets, même sollicités, d’autres, tant d’autres se sont mis à parler, sans étalage, avec leur témoignage d’abord, leur souvenir ensuite. Pas de discours ni d’envolées, le spectateur parle de lui. D’autres ont poursuivi la discussion chez eux et certains se sont mis à écrire. Après la Guerre sans nom, de Bertrand Tavernier - qui avait réveillé Bernard Gerland comme bien d’autres -, Ma guerre d’Algérie continue d’abattre les frontières du non-dit, de la culpabilité, de la responsabilité. Nous ne sommes pas devant une parole d’" anciens combattants ", mais d’hommes floués d’une part de leur être, d’une part de leur jeunesse et de leurs actes, privés du nécessaire travail de deuil.

" Ils ne sont pas voyeurs, précise Bernard Gerland. Il y a, en face d’eux, quelqu’un qui leur dit : " Voilà ce que je suis. Serais-je le seul comme cela ? " Tout être est fragile, fût-il communiste. " J’ai l’impression d’avoir été un petit voilier, seul sur la mer, qui en rencontre un autre, comme mon ami Serge Paute avec son spectacle Chers Parents, puis un troisième et, petit à petit, tous ensemble, nous sommes devenus une flottille, remorquée par de grandes voix : l’Appel des douze, les médias, un débat national. " Ma guerre d’Algérie ouvre aujourd’hui une autre fenêtre sur la responsabilité que, depuis 1954, la société française laisse porter à ceux qu’elle a contraints à des actes qu’ils réprouvaient, avant et après. Et bien sûr, au-delà, sur sa responsabilité dans le " racisme ordinaire " qui se perpétue aujourd’hui.

Émilie Rive - l'Humanité du 3 janvier 2007


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